En quête d'humanité

Photographies de Pierre TROVEL, reporter-photographe au journal l’Humanité

(1975-2000)

Exposition du 13 janvier au 17 juillet 2020 prolongée jusqu'en septembre 2021

 

En janvier 2015, Pierre TROVEL, photographe au journal l’Humanité, dépose ses archives photographiques aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis.

 

Son fonds représente 382 000 clichés pris entre 1960 et 2014. Il couvre l’actualité économique, sociale et politique en France, de nombreux clichés ayant été pris en Seine-Saint-Denis, siège du journal et lieu de résidence du photographe.

 

L’exposition qui lui est consacrée se concentre sur la période 1975-2000.

 

À travers une soixantaine de clichés, elle s’organise autour de trois thèmes :

  • les luttes ouvrières
  • les territoires et leurs mutations
  • des portraits individuels et collectifs.

 

Ces photographies, présentées aux Archives départementales pour la première fois, révèlent quelques-unes des facettes d’un riche fonds photographique qui reste largement à découvrir.

 

Exposition virtuelle

Itinéraire d’un photographe

 

Pierre Trovel débute sa carrière à l’orée des années 1960 au sein du service des Correspondants de l’Humanité. Ce service regroupait des rédacteur·rice·s et des photographes bénévoles qui transmettaient au journal des informations locales.

 

Il poursuit sa carrière comme photographe professionnel à la mairie de Saint-Denis (1967-1975). Au cours de cette période, il réalise de nombreux reportages offrant un éclairage riche et original sur la vie institutionnelle, ainsi que sur l’actualité culturelle, sociale et politique locale.

 

En 1975, il intègre la rédaction du journal l’Humanité, pour laquelle il travaille jusqu’à sa retraite en 2010. Durant 35 ans, Pierre Trovel couvre l’actualité locale, nationale ou internationale pour le quotidien.

 

Sa qualité de reporter-photographe pour un quotidien militant lui permet de photographier les usines de l’intérieur durant les grèves et les occupations, et de saisir des moments de la vie militante : vente de journaux et distribution de tracts au petit matin, prise de parole des délégués syndicaux, défilés, moments de convivialité… Ses reportages sont autant d’occasions de saisir des ambiances, des paysages, des lieux de vie, glissant de la commande professionnelle à la photographie artistique personnelle.

 

En janvier 2015, Pierre Trovel confie ses archives photographiques aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis. Il dépose 382 000 images, argentiques (165 000 vues) et numériques natives (217 000 images), couvrant la période 1960-2014. Il travaille actuellement au récolement de son fonds.

 

Les Archives départementales ont numérisé 12 000 images de ce fonds dont un inventaire est en cours de finalisation. 2 000 photographies conservées dans le fonds de l’Humanité sont consultables sur le site internet des Archives départementales, archives.seinesaintdenis.fr.

 

Les luttes sociales au coeur du travail photographique

 

Reporter-photographe au journal l’Humanité, Pierre Trovel est un témoin privilégié au coeur des luttes.

 

La désindustrialisation débute dans les années 1960, avec la politique de concentration et de spécialisation des grands groupes industriels. Les effets de cette refonte du système productif sont décuplés à la suite de la crise pétrolière de 1973.

 

Des pans entiers de l’industrie, comme les mines et la métallurgie, vont disparaître progressivement, conséquence de l’absence d’intervention de l’État face à la concentration industrielle et à la spéculation financière. Dans les régions touchées de plein fouet par les fermetures de mines ou de hauts fourneaux comme à Longwy, les ouvriers se battent pour maintenir l’activité et l’emploi. Ils n’hésitent pas à manifester à Paris, où se trouvent les sièges sociaux des grandes entreprises et les ministères.

 

La désindustrialisation frappe particulièrement le territoire de la Seine-Saint- Denis où l’État, au nom du rééquilibrage du tissu industriel, limite les nouvelles implantations, accélérant la délocalisation des sites de production en province.

 

Tous les secteurs industriels sont touchés, à des degrés plus ou moins importants, et toutes les entreprises, qu’elles appartiennent à des grands groupes ou qu’elles soient sous-traitantes, licencient du personnel. Entre 1976 et 1984, la Seine-Saint-Denis perd plus de 38 000 emplois industriels, ce qui représente un quart des emplois de l’industrie.

 

Comme en témoignent les photographies de Pierre Trovel prises chez Mécano, Cazeneuve, Renault, Talbot, Alsthom…, la période est riche en grèves, en occupations et en manifestations. Elles prennent parfois des tours inattendus, quand les sidérurgistes montent sur le toit de l’opéra Garnier ou quand les salarié·e·s de l’imprimerie Chaix occupent la Bibliothèque nationale de France sous l’œil impassible des lecteur·rice·s. À ces luttes défensives s’ajoutent les combats revendicatifs comme ceux des professeur·e·s et parents d’élèves ou de l’Union des Vieux de France.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photographier les espaces en mutation

 

À l’occasion des reportages sur les mouvements sociaux réalisés pour l’Humanité, Pierre Trovel aime photographier les lieux : façades des usines Mécano et Cazeneuve en grève, imprimerie Chaix d’Issyles-Moulineaux en cours de démolition, rues de Longwy au moment de la fermeture des hauts fourneaux, usine sidérurgique de Pompey désossée, voies ferrées de Neuves-Maisons en Meurthe-et- Moselle… Autant de témoignages qui permettent de mesurer l’ampleur du démantèlement du tissu industriel et d’en conserver la mémoire visuelle.

 

Au-delà du témoignage, ces photographies expriment la sensibilité artistique du photographe : lignes de fuite du paquebot France, verticalité des cheminées d’usine, des façades ou d’un gazomètre, ambiance particulière des paysages nocturnes ou atmosphère ouatée de villes imprégnées par les rejets des cheminées d’usine. Pierre Trovel photographie également l’habitat, avec une attention particulière pour l’habitat collectif dont l’architecture transforme la ville, comme la vue panoramique de Fontenay-sous-Bois, la cité des « 4 000 » à La Courneuve, ou le chantier de construction de la future station de RER de Marne-le-Vallée à Noisy-le-Grand. Ces images racontent la banlieue en construction.

 

Ces photographies sont prises à la fin des années 1970, alors que l’État a mis un coup d’arrêt aux constructions des grands ensembles. Elles ne véhiculent pas l’image de quartiers dégradés et d’espaces de relégation comme ce sera le cas dans la période suivante. Elles montrent au contraire les réalisations de municipalités qui ont choisi de construire du logement pour répondre aux besoins des classes populaires.

 

Et l’humain, dans tout ça ?

 

Photographe engagé au plus près des acteur·rice·s des mouvements sociaux, Pierre Trovel réussit à capter les regards et les postures dans les moments d’attente – lors de la grève des ouvrières de l’entreprise Pilotaz à Chambéry ou celle des mineurs marocains à Courrière – et les moments revendicatifs – défilés des ouvriers de Renault-Billancourt dans les années 1970, manifestation des ouvriers de Talbot à Poissy ou des mineurs à Paris en 1984.

 

Il n’hésite pas à faire un pas de côté lorsqu’il photographie des femmes devant l’usine Sonolor en grève. L’étrangeté d’une situation prime parfois sur l’engagement, comme la photographie d’un lycée professionnel de jeunes filles à Epernay où Pierre Trovel joue avec la composition.

 

Sujet récurrent chez le photographe, la jeunesse des quartiers populaires. Il choisit parfois d’en rester très éloigné, posant un regard extérieur sur ses personnages. Il lui arrive aussi de s’en rapprocher, montrant le dynamisme, la joie de vivre et l’espièglerie des enfants comme à la Rose-des-Vents à Aulnay-sous-Bois ou lors d’évènements festifs, par exemple à Saint-Denis lors de l’Euro de football.

 

Cet attachement aux personnes transparaît dans la série de photographies consacrée aux cafés, lieux de sociabilité populaire, où il photographie des générations différentes, des jeunes désœuvrés d’une ville de l’est de la France au couple de danseurs d’un café de la gare du Nord.

 

Enfin, l’œil du photographe militant s’exprime pleinement lorsqu’il photographie dans le métro un voyageur noir assis devant une inscription raciste, ou lors de ses reportages sur la grande pauvreté. Son regard est toujours respectueux des personnes photographiées, malgré la précarité matérielle et la détresse qui peuvent transparaître dans les clichés.