Emblème du mouvement syndical parisien, la Maison des syndicats représente un lieu historique de l'engagement militant ouvrier durant le XXe siècle. Obtenir le droit de se réunir, puis le droit de se loger à son propre compte pour débattre des problèmes des ouvriers était un parcours semé d'embûches.
En 1905, la Confédération générale du travail (CGT) est expulsée de la Bourse du travail qui était alors sous tutelle de la Préfecture de Paris. En 1906, un local provisoire est rapidement trouvé au 10, cité Riverin à proximité de la rue du Château-d'Eau. Mais, craignant «l'agitation ouvrière», le bailleur ne tarde pas à donner congé à la CGT après avoir découvert son statut de syndicat ouvrier.
La solution d'un logement définitif est trouvée avec la location de l'ancienne usine Schmit, située rue de la Grange-aux-Belles dans le quartier ouvrier du 10e arrondissement de Paris. Avec l'objectif d'assurer une plus grande indépendance des organisations vis-à-vis du préfet de Paris, la CGT décide d'acheter l'immeuble et le terrain. Mais elle se heurte à l'obstacle du financement et du droit à la propriété. Si la loi du 21 mars 1884 accorde aux travailleurs le droit de s'organiser en syndicat professionnel, elle ne leur donne pas le droit d'être propriétaire en tant que personne morale et ce jusqu'en 1922. Pour contourner les contraintes du droit, les militants choisissent de se constituer en société collective.
En novembre 1907, une «Société Victor Griffuelhes[1] et Compagnie» est constituée grâce à un prêt consenti par Robert Louzon[2]. La société porte initialement le titre de «Maison des fédérations». Elle dispose de bureaux, d'une bibliothèque, d'une clinique et de sa propre imprimerie au 33, rue de la Grange-aux-Belles.
À la veille de la Première Guerre mondiale, la «Grange-aux-Belles» devient une société anonyme. Elle prend alors le nom de «Maison des syndicats». Dans ses statuts déposés le 5 juin 1914 chez maître Saucier, la société a pour but «d'acheter, de construire ou de louer, comme preneur ou bailleur, tout immeuble à Paris, et dans le département de la Seine, de les utiliser pour salles de réunions, salles de cours, de conférences, bibliothèques, bureaux pour associations syndicales, et toutes œuvres ayant un intérêt social et général»[3]. Pendant la guerre de 1914-1918 est construite la salle de réunion Pierre Semard.
Lors de la scission de la CGT en 1920, la nouvelle Confédération générale du travail unitaire (CGTU) qui en est issue possède la majorité des actions de la société. Elle a le contrôle de la société et du conseil d'administration. La Maison des syndicats fournit salles et bureaux aux organisations syndicales de la CGTU, non seulement sur le site de la Grange-aux-Belles, mais aussi dans d'autres locaux achetés à Paris: avenue Mathurin-Moreau (1919-1920) et 14-16, rue de Versigny (1938), ou en banlieue: en particulier à Clichy et à Arcueil (1936)[4].
Le 8 novembre 1939, la Maison des syndicats est dissoute, ses biens mobiliers et immobiliers placés sous séquestre et gérés par l'Administration des Domaines jusqu'en 1944. Le matériel de l'imprimerie, des cliniques, des salles de réunions, des bureaux et des organisations locataires est liquidé à des prix dérisoires.
À la Libération, la Maison des syndicats reprend ses biens et son activité. En 1947, la cotisation qui lui était versée par les syndicats de la Région parisienne est supprimée. Le financement de ses activités devient difficile.
Le complexe de Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), nouvelle Bourse du travail, est inauguré en 1982. La plupart des fédérations et syndicats de la CGT emménagent alors dans les nouveaux locaux.
L'Union régionale d'Île-de-France CGT (URIF CGT), issue de l'ancienne Union syndicale de la Région parisienne CGT (USRP), reste, elle, locataire du «33» par principe. Elle perpétue ainsi l'enracinement parisien historique de la CGT et souhaite éviter que ce patrimoine immobilier symbolique soit récupéré par la Mairie de Paris, comme cela fût le cas pour les locaux historiques de la Fédération de la métallurgie du 94, rue Jean-Pierre Timbaud (Paris 11e). Mais, en dépit de cette volonté, les conditions de modernisation de l'immeuble du «33» pour aboutir à son intégration dans les projets urbains de Paris se révèlent trop onéreuses. La Grange-aux-Belles est finalement vendue le 1er mars 1989 à la Société Feinel-Résidences. En 1990, l'URIF est relogée dans le complexe de la CGT à Montreuil.
[1] Secrétaire de la CGT de 1901 à 1909.
[2] Robert Louzon, ingénieur à la Compagnie du gaz de Paris, licencié pour avoir consenti ce prêt.
[3] Cf. article 502J/112.