Créé le 8 juin 1968 par de jeunes magistrats, élèves du Centre national d'études judiciaires, le Syndicat de la Magistrature (SM) est un syndicat professionnel autonome. Dans l'enthousiasme général des événements de mai, le SM favorise la forme syndicale et le militantisme. Il rompt ainsi avec les formes traditionnelles de groupements professionnels de magistrats préexistants. Dans ses premiers articles statutaires de 1968, il se fixe quatre objectifs. Une mission de contrôle qui consiste à veiller à l'exercice d'une autorité judiciaire indépendante. Une mission d'étude des questions liées à l'organisation judiciaire, au recrutement, à la formation et à la carrière des magistrats. Représentatif des intérêts professionnels des membres du corps judiciaire, il se doit de les défendre. Enfin, il se veut un pôle d'information pour ses membres, tant sur le plan professionnel que syndical.
Le SM est dirigé par un bureau composé d'un président, d'un vice-président, d'un secrétaire général et d'un trésorier. Ce bureau est élu pour un an par les membres du Conseil national, composé de 13 membres élus au scrutin majoritaire uninominal à un tour par le congrès pour une période de deux ans. Chaque juridiction - tribunal de grande instance (TGI) et cour d'appel - est dotée d'une section syndicale[1]. Le congrès est l'organe souverain du syndicat. Il se réunit tous les ans à date fixe, le dernier week-end du mois de novembre, pour faire le bilan des activités de l'année en cours et tracer les nouvelles orientations pour l'année suivante. Il définit la politique du syndicat. Le congrès en tant qu'organe directeur du syndicat, est considéré par les dirigeants du SM comme étant l'expression d'une démocratie directe[2]. Lors de son premier congrès de 1968, le SM décide la création d'un journal intitulé Justice. Le premier numéro paraîtra en juillet 1969. Il est l'organe d'expression du syndicat pour l'information des militants et pour la mise en œuvre de l'action syndicale.
Les moyens d'action qu'il met en place sont la grève «totale» en cas d'atteinte grave à la liberté et à l'indépendance des magistrats, les journées d'action nationale ou régionale, l'utilisation de la presse et l'intervention ou la protestation ainsi que la formation syndicale[3]. Dans son premier congrès de 1968, il réclame le droit de grève pour les juges. Le statut particulier du magistrat dans la fonction publique lui interdit la grève et le soumet à l'obligation de réserve. Cette contradiction fait la singularité du Syndicat de la Magistrature car c'est une difficulté juridique qu'il va devoir résoudre[4]. La magistrature garante traditionnelle du pouvoir en place se retrouve dans la contestation pour la première fois de son histoire[5]. Le SM se positionne pour la conquête et l'établissement de la liberté syndicale pour le juge. La grève nationale qu'il organise le 10 juin 1976 pour soutenir le substitut Étienne Ceccaldi est un bon exemple des difficultés qu'il devra résoudre. Il s'agit de la question des libertés syndicales et de la liberté d'opinion. Le SM décide cette grève pour protester contre la mutation du substitut à Hazebrouck. Ceccaldi refuse cette mutation et fait l'objet de poursuites disciplinaires par le ministre de la Justice. Cette mutation était liée également à une affaire dite des «Pétroliers» dont on voulait dessaisir le substitut. Le SM proteste contre cette mutation qu'il estime être une sanction déguisée. 600 magistrats suivront le mot d'ordre de grève. Il apparaît ainsi que le magistrat se heurte à la Loi et au statut qui lui interdit «toutes démonstrations de nature politique incompatibles avec la réserve que leur imposent leurs fonctions[6]». Conscient de l'obstacle que représente le statut du magistrat dont il réclame la réforme dans ses toutes premières revendications[7], le SM se défend de toute utilisation abusive du statut du magistrat et l'explique longuement dans son journal Justice 76 qu'il consacre au droit de grève et aux limites de ce moyen d'action dans la magistrature8. «À défaut de supprimer la hiérarchie, il cherche à réduire l'effet des pressions et la dépendance qu'elle entraîne. La stratégie syndicale visée par le SM étant le contrôle des mécanismes de recrutement, de mutation et d'avancement, il visait la levée du secret sur les mécanismes de sélection et de carrière, l'objectivation des critères, et le contrôle par le corps»[8][9]. Il s'intéresse aux mécanismes qui régissent la carrière du magistrat, notamment, la question de sa notation car elle est liée directement à l'indépendance et à liberté d'action du juge. Le pouvoir de la hiérarchie s'applique sur le magistrat par le moyen de la notation. Dans un premier temps, le SM contribue à obtenir la communication des notes à ceux qui en sont l'objet et à remettre la notation en question. C'est par le moyen de la notation que la hiérarchie sanctionne de manière déguisée les magistrats syndiqués et actifs. Le SM conteste le procédé de notation et remet en cause la hiérarchisation du système judiciaire. La représentativité du SM au niveau de la commission d'avancement est aussi un objectif visé par l'action syndicale. Il conteste «les pouvoirs presque exclusifs du ministère public sur la carrière des magistrats». C'est le ministre et son cabinet qui nomment les magistrats à des postes précis[10]. La formation professionnelle et le recrutement sont également un domaine privilégié de réflexion pour asseoir une base solide à la carrière du magistrat. En 1969, le SM rédige un «livre blanc» sur la formation initiale, puis un autre livre blanc sur la formation permanente en 1972. La question du recrutement est posée comme une nécessité.
Pour donner une légitimité aux actions qu'il veut dégager à partir d'une concertation et d'une participation des magistrats à la gestion de leur corps, le SM relance la dynamique des assemblées générales. La circulaire du 25 avril 1969 va établir le principe du développement de cet organisme à l'échelle des sections et garantir ainsi une participation des magistrats et des fonctionnaires de justice à la vie de leurs juridictions. La reconquête des moyens d'action du juge et de ses libertés nécessite des moyens matériels et par conséquence l'augmentation du budget de la justice. En mars 1970, le SM crée le Comité national de liaison justice (CNLJ) en association avec des organisations professionnelles de magistrats telle que l'Union fédérale de la magistrature (UFM) et des syndicats de fonctionnaires afin de promouvoir une augmentation du budget de la justice. Le CNLJ élabore chaque année une note sur l'insuffisance du budget, destinée aux parlementaires. S'il vise la défense du corps judiciaire, le SM veut également la réhabilitation de la justice dans la société. Son ambition vise un changement de la société. Les thèmes qu'il choisit de débattre lors de ses congrès annuels expriment l'ambition de changer le rapport de la société à la justice. Il traite de la question de la justice et son rapport à l'argent, thème de réflexion de son 4e congrès en 1971. Il n'hésite pas à poser la question de savoir si «le juge n'est pas juste qu'avec les riches». Les congrès successifs du SM abordent tous les domaines de la société, traitant de thèmes aussi divers que la justice et la propriété, la justice le pouvoir et la hiérarchie, la justice et la technocratie, le juge et les libertés individuelles, la justice et le changement, l'immigration et l'exclusion, les libertés syndicales, les prisons, le droit du travail, le logement et la consommation, la justice et la famille, la justice et la sexualité, le service public, les banlieues de la République et l'Europe judiciaire.
[1] cf. Statuts du SM, 256J/1.
[2] cf. Rapport du 5e congrès, journal Justice 72, p.5, 256J/739.
[3] cf. 256J/1044, p.9.
[4] cf. 256J/1044, p.20.
[5] cf. Jean-Claude Farcy, L'histoire de la justice française de
[6] cf. 256J/1044, p.14, 18.
[7] cf. Rapport de congrès 1968, p. 11, 256J/1.
[8] cf. Journal Justice 72, 256J/7389.
[9] cf. Journal Justice 76, p.11. 256J/739.
[10 Cf. 256J/5, rapport de congrès, 1972 et Justice 72, p. 9.